Norman Clermont

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2002
Norman Clermont
Norman Clermont

Laissez-moi vous dire d’emblée que nous n’avons pas été amis d’enfance ni camarades lors de nos études. Nous n’avons même jamais fait équipe ensemble lors de travail de terrain, hormis en une brève occasion, en 1983, pour effectuer des trous de sondages dans une grotte de l’île d’Orléans, en aval de Québec. Notre amitié a été essentiellement professionnelle, et à distance, Norman étant professeur d’anthropologie à l’Université de Montréal, et moi archéologue au Ministère des Affaires culturelles dans la ville de Québec. Alors je n’ai pas beaucoup d’anecdotes très vivantes à raconter aujourd’hui et je laisse volontiers cette tâche à ceux qui l’ont connu au quotidien. Et cependant, en l’espace de plusieurs décennies, à partir des années 1970, entre lui et moi est née une chaleureuse camaraderie, qui se fondait surtout sur un objectif commun, partagé par un certain nombre d’autres collègues, à savoir démontrer l’intérêt de l’étude de la préhistoire au Québec lui-même plutôt qu’ailleurs, en Méditerranée, au Moyen-Orient ou en Amérique centrale, et nous assurer que les pratiques locales répondaient aux normes professionnelles de la discipline.

Nous ne nous voyions que de temps à autre, surtout pour discuter de collaborations en matière de publications ou pour travailler à l’organisation de conférences, mais nous étions régulièrement en contact, surtout au téléphone ou par lettre, mais jamais par courriel. Norman n’avait que faire du cyberespace et considérait que communiquer par cet intermédiaire était une véritable nuisance. Incroyable mais vrai, il avait pourtant publié en 1980 un court article exposant les usages possibles de l’ordinateur pour les études archéologiques, mais il s’était toujours obstinément refusé à en acquérir un pour son usage personnel. Sa base de données consistait en des milliers et des milliers de fiches 5x8 qu’il remplissait à la main, y ajoutant des notes et des réflexions en fonction des sujets. Très tôt, alors qu’il était étudiant, il avait découvert que cette forme particulière d’activité l’aidait à stimuler un flux continu de pensée créative, et il ne s’en est jamais écarté par la suite. J’ai dans l’idée que si Norman a décidé de prendre sa retraite cette année, c’est parce que l’Université de Montréal envisage de réduire son personnel de soutien, et qu’il n’y aura bientôt plus de secrétaires pour lui taper ses manuscrits. La rumeur veut que sa femme se tienne prête, au cas où…

Tout au long de sa carrière, qui couvre plus de trois décennies, Clermont occupait une place prééminente dans l’archéologie au Québec. Cette place, il ne l’avait pas gagnée lors de luttes intestines ou en jouant des coudes dans le monde académique. Il l’avait atteinte par la seule force de son caractère. Si je devais le résumer en une seule phrase, je dirais que c’est « un homme à l’aise avec lui-même », et par conséquent capable aussi de mettre rapidement les autres à l’aise. On n’a jamais senti chez lui le moindre soupçon d’insécurité personnelle ni le moindre besoin de se faire valoir. Il était tel qu’on le voyait. Et ce que l’on voyait, c’était une tornade cérébrale équipée d’une voix de stentor et d’un caractère joyeux. Il est certain qu’au début, les nouveaux étudiants devaient être intimidés par sa présence, avant de voir ce sentiment se transformer en admiration, en respect et en affection.

Ses pairs ont volontairement cédé à Norman sa place d’honneur, au premier plan, en reconnaissance de ses exceptionnelles qualités de meneur d’hommes, de sa largeur de vues, de son énergie démesurée, et de son talent magistral pour l’enseignement. Tout cela combiné lui a permis de devenir le principal architecte du processus de professionnalisation entamé par la discipline de la recherche en préhistoire au Québec au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Ils sont rares en fait, aujourd’hui, les praticiens de la discipline au Québec qui n’ont pas été, d’une manière ou d’une autre, influencés par lui lorsqu’ils étaient étudiants, que ce soit en cours, sur le chantier école, lors de fouilles, ou par ses nombreux écrits.

En 1982, Clermont avait publié un article dans le Journal canadien d’archéologie pour souligner les progrès accomplis par l’archéologie au Québec en l’espace de quelques décennies. Il lui avait donné un titre vibrant : « La préhistoire arrive en fanfare au Québec ! » (« Quebec Prehistory Comes Marching In »). Ce que Norman oubliait de dire, cependant, c’est que c’était lui-même qui avait mené la marche tout du long, comme un général à la tête de ses troupes.

Dans une profession réputée pour l’austérité de ses écrits, ses articles semblent dépouillés, nets et précis, mais ils renferment toujours de brillants aperçus. Par exemple, lorsqu’il écrivait pour la revue Recherches amérindiennes au Québec, en 1999, il exposait en à peine plus de deux pages tout ce que vous désiriez réellement savoir sur le sujet de « l’archéologie et l’ethnicité ». Pour ma part, j’ai toujours été impressionné par son don pour l’écriture et la qualité sonore qu’il parvient à lui donner. En fait, on pourrait très bien décrire ses articles archéologiques comme des préludes, des impromptus, des valses et des mazurkas. Je ne veux pas dire par là, cependant, qu’il est toujours minimaliste. Toute une série de monographies, rédigées en collaboration, témoignent de ses aptitudes à la fois pour l’observation exhaustive et pour l’interprétation de grande envergure.

Pour terminer, il me semble approprié d’évoquer brièvement les relations qu’entretenaient autant Harlan I. Smith et William Wintemberg avec l’archéologie au Québec durant la première moitié du XXe siècle. Alors qu’il travaillait à la Commission géologique du Canada, au Département des Mines, Smith fut la première personne à compiler une bibliographie de préhistoire canadienne, qui comprenait le Québec. Durant l’automne 1911, il correspondit avec M. Fred Wurtele, secrétaire de la branche québécoise de l’Archaeological Institute of America, organisme dont la mission première était la diffusion des connaissances en matière d’archéologie classique auprès du grand public. Dans sa lettre, Smith évoquait ce que l’on pourrait qualifier de programme d’archéologie pragmatique :

« J’ai récemment entrepris le travail archéologique pour le Gouvernement du Dominion et j’organise un classement préliminaire tout en préparant des expositions pour le public. Bien que je n’aie pas encore tout déballé, je constate que nous avons une bonne collection très représentative en provenance de la côte de la Colombie-Britannique, ainsi que du plateau, et nous avons tant de matériel de l’Ontario que je pense qu’il pourrait en sortir une collection représentative, mais en provenance du Manitoba et des Plaines, du Québec et de la côte atlantique, nous avons si peu de choses que je pense qu’il est de mon devoir d’attirer l’attention des gens de ces régions en particulier, et du gouvernement, sur la nécessité d’augmenter nos collections concernant ces endroits et d’y mener des explorations. Cela, bien sûr, je ne pourrais le faire utilement avant de connaître les endroits où des fouilles pourraient donner quelque chose. J’ai rédigé un index de ces lieux et j’en connais un certain nombre en Colombie-Britannique, en Ontario, quelques-uns au Manitoba, mais pratiquement aucun au Québec. J’espère que vous pourrez m’indiquer quelques endroits où je pourrais me rendre l’année prochaine dans l’espoir que l’un d’entre eux sera assez profond pour que la plupart des objets qui s’y trouvent gisent sous la surface perturbée par la charrue et qu’il sera assez grand afin qu’il soit rentable d’y employer trois ou quatre hommes à creuser durant plusieurs mois dans l’espoir d’en retirer assez d’informations pour créer la base d’une monographie sur cet endroit, et assez de matériel pour en faire une exposition représentative au musée national du lieu, et d’en avoir des répliques pour les nombreux autres musées canadiens ».

Smith ne s’est jamais rendu au Québec pour y faire des fouilles. Cependant, William Wintemberg était parvenu à le faire au cours des années 1920 et 1930 lorsqu’il effectua des sondages sur de grandes distances dans la vallée du Bas-Saint-Laurent, sur la Côte Nord jusqu’au détroit de Belle-Île, et même sur les îles de la Madeleine. Il fut le premier chercheur à nous donner une idée de l’étendue et de la diversité du patrimoine préhistorique du Québec. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, un nombre grandissant d’autres chercheurs, dont Norman faisait partie, apportèrent d’importantes contributions à l’archéologie préhistorique au Québec. De ce point de vue, il est douteux, et probablement hors de propos, que l’on puisse attribuer le titre de « père de l’archéologie au Québec » à quelqu’un en particulier. Après tout, depuis les « pères de la Confédération » jusqu’aux « mères de l’Invention », ce sont les efforts combinés qui sont la règle générale. Mais pour les archéologues québécois, je soupçonne fortement Norman Clermont d’être « notre père à tous », et qu’il le restera toujours.

Charles A. Martijn

12 mai 2002

Mot de remerciement de Norman Clermont