Déclaration de 2022 de l’ACA sur le changement climatique et l’archéologie

Cette déclaration a été officiellement approuvée et votée par le Bureau de direction de l’ACA, le 10 juin 2022. Elle doit être citée comme la « Déclaration de 2022 de l’ACA sur le changement climatique et l’archéologie ». Le Comité du changement climatique de l’ACA en a rédigé la première version en y intégrant des avis du Conseil d’administration. Les membres du Comité sont Matthew Betts (président), Tekla Anne Cunningham, Scott Neilsen, Michael O’Rourke et Meaghan Peuramaki-Brown.

Résumé :

La terre qui est aujourd’hui le Canada est aux prises avec une crise patrimoniale. Le changement climatique et la montée du niveau de la mer détruisent des sites archéologiques à une échelle et un rythme alarmants. Des milliers d’années de patrimoine archéologique, dont la plus grande partie est autochtone, ont déjà été perdues, et il n’existe pas de programme coordonné qui puisse répondre à ce problème. L’avenir du passé est en extrême danger, et nous devons agir maintenant.

Déclaration :

En 2019, le gouvernement fédéral a constaté que le climat du Canada se modifie rapidement1. Parmi les causes principales du changement climatique se trouve le réchauffement causé par les êtres humains, qui a augmenté au Canada près de deux fois plus que dans l’ensemble du monde. Cette tendance au réchauffement a mis en danger le patrimoine culturel en raison d’un certain nombre de processus liés, y compris la montée du niveau de la mer et les inondations côtières, la plus grande violence des tempêtes et des précipitations, le plus grand nombre des orages, les feux de forêt, l’érosion des sols, la fonte des glaciers, le dégel du permafrost et l’expansion de la végétation.

L’impact de ces effets climatiques extrêmes sur les vestiges archéologiques est irréversible. Les inondations et l’érosion des sols mettent à nu et détruisent les traces des activités humaines du passé, en emportant les stratigraphies, les artefacts et les vestiges caractéristiques. La fonte des glaces et du permafrost provoquent la décomposition rapide du matériel organique préservé, tandis que les coulées de permafrost dégelé peuvent intégralement détruire des sites archéologiques. Les feux de forêt réduisent en cendres la végétation, ce qui provoque l’érosion des sols et la mise au jour et la destruction de matériel archéologique.

Les processus climatiques ont eu un impact sur le patrimoine matériel pendant des millénaires, et le rythme accéléré du changement climatique depuis les dernières décennies a fait croître la proportion des destructions. L’impact de ces forces est d’envergure mondiale, mais le Canada possède le plus long littoral du monde et le plus grand écosystème d’eau douce, ce qui signifie que nous nous situons au point culminant de cette crise patrimoniale. Les données actuelles indiquent que la destruction du patrimoine archéologique est déjà importante dans toutes les régions du pays, ce qui représente des milliers d’années d’histoire perdue sur tous les aspects du passé canadien. Par malheur, l’étendue réelle du problème est inconnue, puisque dans de considérables parties du pays, il n’y a pas eu de recherches de gisements archéologiques.

L’Association canadienne d’archéologie (ACA) reconnaît que l’impact du changement climatique sur le patrimoine archéologique est l’un des défis majeurs auxquels notre discipline est confrontée. Nous affirmons que nous devons prendre immédiatement les mesures qui conviennent pour répondre à ces défis et encourager nos membres et la communauté des archéologues dans son ensemble à réagir activement aux impacts climatiques. Cela exigera que la discipline se transforme puisque les projets se modifient pour intégrer davantage la bonne garde et la conservation.

Ces efforts doivent donner la priorité aux besoins et aux préoccupations des communautés et des nations qui ont des droits et des intérêts vis-à-vis de leur patrimoine culturel et qui devraient de plein droit mener les efforts de conservation.

Il est important de mentionner que, par le passé, les gouvernements fédéral et provinciaux ont financé les principales initiatives archéologiques pour examiner les menaces à l’encontre du patrimoine culturel, y compris celles posées par le changement climatique, et pour les atténuer. Bien que nous reconnaissions les efforts passés et actuels des communautés et des archéologues de réagir aux impacts négatifs du changement climatique dans leurs juridictions respectives, la crise climatique qui s’intensifie exigera des efforts coordonnés et un financement renouvelé.

L’ACA affirme en outre que les dommages causés au patrimoine archéologique et aux lieux d’importance culturelle, voire leur destruction pure et simple, ont des implications de grande portée pour les communautés qui s’y identifient et y trouvent du sens. De fait, de tels impacts ont souvent des effets disproportionnés sur les Peuples autochtones, dont les histoires sont déjà marginalisées, sous-étudiées et non écrites, et dont la capacité à faire valoir leurs droits est souvent liée à la preuve d’un usage récurrent et à long terme de la terre et de ses ressources.

Si nous admettons que l’on ne peut se rendre compte de la valeur du patrimoine archéologique menacé que par un engagement avec les communautés intéressées, alors toute forme de préparation effective au changement climatique exigera des archéologues qu’ils donnent la priorité aux aspects communautaires, et aux aspects de notre discipline motivés par les communautés. Les décisions relatives aux meilleures façons de gérer et sauvegarder ces vestiges matériels du passé devront être prises avec les communautés, qui auront un rôle primordial dans le processus de prise de décision.

L’ACA reconnaît la menace directe et continue causée par la crise climatique envers les ressources archéologiques et a défini cinq « Appels à l’action » destinés à ses membres et à la communauté archéologique dans son ensemble :

  1. Les archéologues doivent agir maintenant. En collaboration avec les communautés affectées, ils devraient rapidement entreprendre la bonne garde des ressources archéologiques de façon à la fois socialement pertinente et culturellement appropriée. À l’échelle de la discipline, et sauf souhaits contraires des communautés, nous devons déplacer l’attention de l’archéologie pour passer des activités de recherche à la sauvegarde du patrimoine archéologique menacé.
  2. Les dirigeants des communautés et la co-gestion devraient être intégrés à la bonne garde des sites archéologiques menacés afin que les communautés de descendants puissent prendre des décisions en ce qui concerne la préservation de leur histoire.
  3. Les archéologues devraient adopter de nouvelles méthodes. Les archéologues devraient créer un ensemble de meilleures pratiques pour les ressources patrimoniales touchées, dans le but de créer un registre exhaustif et durable renfermant les informations au sujet de ces sites et de ce qu’ils renferment. Ces méthodologies devraient être incorporées aux programmes d’archéologie à tous les niveaux.
  4. Les archéologues devraient rassembler davantage de données. Les responsables de sites archéologiques devraient chercher à mieux comprendre les impacts sur les sites et les dépôts archéologiques afin d’atténuer à l’avenir les effets du changement climatique. Il serait nécessaire d’entreprendre l’exploration des cours d’eau, des côtes et des terres de l’intérieur déjà examinés ou peu examinés afin d’évaluer et de référencer les paysages menacés.
  5. Les archéologues devraient se faire les avocats du patrimoine archéologique menacé. Les archéologues devraient s’efforcer de travailler avec le public afin de le sensibiliser au fait que les vestiges matériels du passé sont en danger ; et ils devraient activement chercher à influencer les décideurs politiques afin qu’ils donnent la priorité et accordent leur soutien aux efforts archéologiques afin d’atténuer les impacts du changement climatique.

1   Bush, E. et D.S Lemmen, éditeurs. Rapport sur le climat changeant du Canada, gouvernement du Canada, Ottawa, Ontario, 2019, 446 p.